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Les nouvelles #utopies françaises: résultats de l’Observatoire des perspectives utopiques

L’ObSoCo et ses partenaires, l’ADEME, BPI France et la Chaire ESCP-Leclerc ont présenté ce lundi 14 octobre 2019 les principaux résultats de l’Observatoire des perspectives utopiques. Le malaise dans lequel sont aujourd’hui plongées les sociétés occidentales n’en finit plus d’être commenté. Au-delà de son analyse qui, souvent, ne fait qu’exacerber le sentiment d’impuissance, il est apparu important de se concentrer sur le champ des possibles. Et explorer les imaginaires à l’œuvre dans la société française, les perspectives utopiques qui pourraient permettre de dépasser cette panne collective et retrouver capacités et marges de manœuvres. L’Observatoire des perspectives utopique en est le résultat. Conduit auprès d’un échantillon de 2 000 Français, les premiers résultats de cette enquête ont été publiés ce jour.

Un fort pessimisme à l’égard de l’avenir

Maintes fois diagnostiqué, l’Observatoire des perspectives utopiques confirme, lui aussi, le pessimisme des Français qui signe notre difficulté à nous projeter collectivement dans un futur désirable.

  • 53% des personnes interrogées estiment que la vie de leurs enfants et petits-enfants sera pire que pour ceux de leur génération (en termes d’épanouissement, de « bien vivre », de bonheur…) quand 38% pensent qu’elle sera globalement similaire et seulement 9% meilleure.

Une gouvernance politique à repenser

Dès lors, la propension est forte à dénoncer le mode de fonctionnement de la société contemporaine. A commencer par son système politique.

  • Ainsi, seules 10% des personnes interrogées tiennent le système actuel pour le système idéal («un système où les décisions sont prises par des professionnels de la politique élus »).
  • En tête des aspirations se trouve en revanche « un système où les décisions sont prises à l’issue de référendums recueillant la volonté de la population » (52%).
  • Deux autres formules attirent chacune un tiers des répondants : « un système politique où les décisions sont prises par des experts neutres (scientifiques, intellectuels, experts…) » (37%) et « un système politique où les décisions sont prises par des élus qui ne sont pas des professionnels de la politique » (34%).

Une gouvernance économique à partager

De la même façon, cet Observatoire met au jour le rejet massif de la façon dont la vie économique est aujourd’hui organisée.

  • 15 % des répondants désirent conserver le système actuel selon lequel « la vie économique est organisée autour du salariat avec une prépondérance des grandes entreprises et un tissu de petites et moyennes entreprises ».
  • Pour 33% d’entre eux l’idéal serait cependant une vie économique « organisée autour d’entreprises dont les stratégies seraient définies conjointement par les actionnaires, les salariés, les pouvoirs publics, les représentants des consommateurs… » quand 20% des répondants appellent de leur vœux « une organisation autour de coopératives et d’entreprises autogérées ».
  • A noter le peu d’enthousiasme suscité par le travail indépendant : seuls 13% souhaiteraient un système où « chacun est un travailleur indépendant qui organise librement son travail mais doit trouver ses clients ».

Dépasser le modèle de développement capitaliste contemporain

La prise de distance à l’égard du modèle de développement associé au capitalisme contemporain se révèle en outre manifeste.

  • Pour plus de la moitié des Français interrogés « les sociétés occidentales ont atteint les limites du développement économique, de l’amélioration du confort, de la qualité de vie » (contre 33% qui se positionnent à l’inverse).
  • Témoignant de préoccupations environnementales fortes, 76 % se disent par ailleurs d’accord avec l’idée que « le moment est venu de donner la priorité à la promotion de modes de vie moins portés sur la consommation et moins consommateurs de ressources non renouvelables » (contre 12 %).
  • Et c’est l’idée même que pouvoir consommer plus rend plus heureux qui est remise en cause par 60 % des répondants (contre 29 %).

Repenser le rapport à la consommation

Dans ce prolongement, une majorité de Français témoignent d’une certaine insatisfaction à l’égard du modèle de consommation actuel et souhaitent, eux-mêmes, faire autrement.

  • Si un quart des Français interrogés se révèlent satisfaits de la façon dont ils consomment (23 % sont d’accord avec la proposition « j’aime la manière dont je consomme et je ne souhaite pas changer mes habitudes ») et si 21 % souhaiteraient pouvoir « consommer plus », en revanche 36 % affirment désirer « consommer moins mais mieux » et 20 % « autant mais mieux ».

De fortes aspirations d’égalité et de morale

En investiguant plus avant les systèmes de valeurs des Français, il ressort de notre Observatoire que l’épanouissement personnel et la réalisation de soi est ce qui résume le mieux une vie réussie pour une majorité de Français interrogés. De même, l’aspiration à la reconnaissance des droits individuels est elle aussi très perceptible à différents niveaux de l’enquête, s’inscrivant dans une dynamique de long terme d’adhésion croissante au libéralisme des mœurs.

  • De fait, pour 73% des Français interrogés, « La loi doit reconnaître le droit à chaque individu de vivre et d’exprimer sa différence, quelle qu’elle soit (tant qu’elle ne menace pas la société) » versus 14%.

Ce faisant, cette tendance générale ne renvoie pas pour autant à de l’individualisme au sens égoïste du terme ou au repli sur soi mais s’assortie au contraire d’un renforcement du souci des autres de la part des Français.

  • Les répondants se montrent en effet prompts à associer « la solidarité entre les hommes » (mentionné 34%) et « l’égalité » (34%) à leur conception d’un monde idéal, juste derrière « Le respect de la nature » (qui arrive en tête avec 46%) mais devant la liberté (24%) le respect de la tradition (17%), la spiritualité (7%) ou encore la foi dans le progrès (5%).

Parallèlement, le respect des règles morales devrait, à leurs yeux, être prioritaire dans le champ éducatif et se positionne au premier plan des valeurs que les Français déclarent vouloir transmettre à leur descendance.

  • Cité en tête par 31%, devant le respect de la nature (27%) , le gout du savoir et de la connaissance (25%), la solidarité avec les autres ou encore le gout de l’effort (20%). Bien plus que le dépassement de soi, le respect de la tradition (14% chacun) ou le gout de la réussite (12%).

Les 3 systèmes utopiques

Plonger dans les opinions et les aspirations des Français permet finalement d’identifier leur potentiel d’adhésion à des systèmes utopiques qui, pour n’être pas encore totalement structurés, n’en constituent pas moins des perspectives porteuses de réponses.

  • L’utopie écologique, privilégiée par une majorité de Français interrogés (55%), évoque une société tendue vers l’équilibre et la sobriété dans le cadre d’une économie de la proximité et du « faire soi-même ». Répondant en premier lieu à l’impératif écologique, elle n’est pourtant pas seulement liée à la peur des dangers qui nous menacent ; elle séduit également par la nature de modes de vie qu’elle promeut en dépit des restrictions à la consommation qu’elle implique.
  • L’utopie sécuritaire arrive en seconde position (préférée par 30%) qui campe, quant à elle, une société nostalgique d’un passé révolu, soucieuse de préserver son identité et sa singularité face aux influences étrangères sur le plan économique et culturel. Ici, clairement, la difficulté à se projeter dans l’avenir favorise la recherche d’idéaux dans un passé réinventé, un supposé âge d’or qui prend alors les traits d’une utopie.
  • L’utopie techno-libérale enfin qui, s’inscrivant dans une trajectoire hypermoderne, décrit un monde centré sur le progrès articulé autour du développement poussé de la science et de la technologie, dans une économie hyperconcurrentielle qui promeut l’initiative individuelle. Une vision qui n’est retenue en priorité que par une faible minorité des Français interrogés (15%).

Les 5 profils de Français

Pour autant, une porosité importante apparaît entre ces trois systèmes utopiques qui ne fédèrent pas autour d’eux des partisans exclusifs s’opposant autour de visions du monde tranchées et étanches les unes aux autres. Autrement dit, affirmer sa préférence pour un système, n’interdit pas d’adhérer à un autre ou, à tout le moins, à certaines dimensions qui le caractérisent. Et ce sont en fait 5 profils de Français qui émergent de notre Observatoire, « brodant » leurs imaginaires autour de ces trois systèmes.

  • Les Modernes (31% de notre échantillon) forment le groupe le plus favorable à l’utopie technolibérale (bien que l’utopie écologique ait leur préférence). Ils adhèrent à la notion de progrès inscrite dans la modernité, y compris pour ses dimensions les plus extrêmes renvoyant à l’augmentation de l’humain. Ils constituent le groupe affichant les orientations consuméristes les plus marquées et s’avèrent légèrement plus jeunes que la moyenne et davantage issus de catégories socioprofessionnelles modestes.
  • Les Modérés verts (29%) se distinguent par la priorité qu’ils donnent à l’écologie, la réduction des inégalités et une consommation plus qualitative que quantitative. Ils sont très surreprésentés parmi les jeunes, dans l’agglomération parisienne, et leur poids est croissant avec le niveau de diplôme.
  • Les Identitaires-sécuritaires (17%) penchent, eux, plutôt du côté de l’utopie sécuritaire tout en adhérant à certaines dimensions de l’utopie écologique. Ils forment le groupe le plus âgé de notre typologie. Ils sont en outre surreprésentés parmi les personnes dont le système de valeurs est orienté vers la morale et la tradition mais aussi parmi celles portées vers le lien avec la nature.
  • Les Libéraux conservateurs (14%) se caractérisent d’abord par une forte adhésion à l’utopie sécuritaire et rejettent l’utopie écologique. Surreprésentés chez les personnes associées à un système de valeurs matérialiste mais aussi les personnes se disant « très à droite ».
  • Les Décroissants (9%) enfin, adhèrent massivement à l’utopie écologique et quasi exclusivement à cette utopie. On note une forte relation avec le niveau de diplôme. Ils sont aussi très surreprésentés au sein de la classe créative.

Méthodologie

Cet Observatoire s’appuie sur une enquête en ligne menée par l’ObSoCo du 23 avril au 7 mai 2019, auprès d’un échantillon de 2000 personnes représentatif de la population de France métropolitaine âgée de 18 à 70 ans établi sur la base de quotas sur les critères suivants : âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, région et taille de l’agglomération de résidence. Afin d’éviter que la durée de passation du questionnaire ne dépasse le seuil à partir duquel la qualité des résultats se trouve compromise, certains blocs de questions n’ont été adressés qu’à une moitié de l’échantillon et d’autres à l’autre moitié.

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