Face à l’urgence climatique, il est indispensable d’éclairer les débats pour accélérer les prises de décisions. Dans ce contexte, l’ADEME a dévoilé le 30 novembre 2021 un rapport de prospective inédit : «Transition(s) 2050. Choisir maintenant. Agir pour le climat ». Ce travail dessine quatre chemins « types » cohérents et contrastés pour conduire la France vers la neutralité carbone tout en intégrant une large palette d’enjeux environnementaux, tels que les différents usages de la biomasse, l’eau d’irrigation, la qualité de l’air, la gestion des déchets, la quantité de matériaux pour la rénovation ou construction, souvent peu représentés dans les travaux prospectifs. Ces scénarios ont pour ambition de nourrir les délibérations collectives, en particulier celles sur la prochaine Stratégie française énergie – climat.
Afin d’aider à mieux comprendre ces scénarios, l’ADEME a réalisé des analyses complémentaires -des « feuilletons » – qui permettent d’approfondir certaines dimensions techniques ou socio-économiques. Après la publication des deux premiers feuilletons « Mix électrique » et « Matériaux de la transition énergétique » le 24 février 2022[1], l’ADEME présente aujourd’hui les huit suivants.
Le feuilleton Macroéconomie montre que la transition écologique engendre à terme une hausse de l’activité économique dans tous les scénarios
Le feuilleton Macroéconomie estime les effets sur la croissance, l’emploi, les revenus et la balance commerciale des quatre scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME, qui visent chacun la neutralité carbone à horizon 2050. Cette étude, basée sur le modèle ThreeME (Modèle Macroéconomique Multisectoriel d’Evaluation des politiques Energétiques et Environnementales), montre clairement qu’un découplage entre le produit intérieur brut (PIB) et les émissions de gaz à effet de serre territoriales est possible. Aucun des quatre scénarios n’engendre de récession à terme par rapport au niveau actuel de l’activité économique. La sobriété n’est pas synonyme de décroissance.
La transition écologique débouche sur une hausse de l’activité économique car elle repose sur :
- Le remplacement des énergies fossiles importées dont les cours vont incontestablement augmenter, par des énergies renouvelables produites localement dont les coûts de production restent relativement stables voire diminuent sous l’effet d’économies d’échelle ou de progrès technologiques ;
- La diminution de la consommation de biens manufacturés dont le contenu carbone est élevé, qui sont en grande partie importés et l’augmentation des achats de produits et services moins intensifs en carbone, qui sont produits localement ;
- Des investissements d’efficacité énergétique qui s’avèrent rentables à terme, compte tenu de la hausse du prix des énergies fossiles, en permettant aux ménages et aux entreprises de réaliser des économies sur leur facture énergétique supérieures au montant du remboursement des emprunts qu’ils ont contractés pour financer le coût initial des travaux. Cette hausse des revenus disponibles (nets des dépenses d’énergie et des annuités de remboursement des emprunts) permet aux agents d’accroître leur stock de capital à terme et donc leurs capacités productives.
Par rapport à un scénario tendanciel de référence, seul le scénario S1 se traduit par une croissance moindre. Dans tous les autres scénarios, le taux de croissance annuel du PIB est supérieur à celui du tendanciel. Les deux scénarios S2 et S3 illustrent donc que le choix de la sobriété et de l’efficacité énergétique pour mener la transition écologique peut être une alternative économique crédible à la poursuite d’un modèle de croissance de la production en volume (scénario S4) : si les niveaux de croissance sont proches entre les trois scénarios (et même très proches entre S2 et S4), le niveau d’emploi est supérieur dans S4, alors que le reste à vivre des ménages est supérieur dans S2. Aussi, le choix d’un scénario plutôt qu’un autre relève plus de priorités politiques que de considérations macroéconomiques.
La transition repose essentiellement sur une modification des modes de production et des habitudes de consommation.
Ces travaux soulignent également que le débat croissance/décroissance du PIB n’est pas pertinent pour qualifier les scénarios de transition écologique. Le PIB ne mesure que la somme des revenus distribués au cours du processus de production. Il ne dit rien, ni sur le degré de décarbonation de la production et des transports, ni sur la part des services dans la consommation, ni sur la sobriété énergétique des bâtiments.
La transition repose essentiellement sur le remplacement des énergies carbonées par des énergies renouvelables ou du nucléaire, sur la substitution du capital et/ou du travail à l’énergie, sur le transfert d’activité des secteurs énergivores vers ceux qui le sont moins (de la route vers le rail, par exemple), de la consommation de biens très intensifs en carbone, comme le plastique ou l’acier, vers des matériaux qui le sont moins, comme le bois, ou les services. Elle n’implique donc pas une diminution de l’activité dans l’absolu mais plutôt une modification des modes de production et des habitudes de consommation.
Sept autres feuilletons pour approfondir et analyser les quatre scénarios Transition(s) 2050
Le feuilleton Modes de vie a été réalisé grâce à une enquête auprès de 31 citoyens qui ont donné leur perception de la désirabilité (qui renvoie aux valeurs et motivations), de la faisabilité (qui renvoie aux contraintes matérieles ou économiques) et des conditions de réalisation (fonction des dispositifs d’action publique mobilisés) de chaque scénarios. Il ressort de ces travaux que la grande majorité des répondants ne discute pas du bien-fondé ou de la véracité de l’urgence climatique. De même, aucun des scénarios n’apparaît faire consensus et aucun n’est complétement repoussoir. La problématique aujourd’hui est plutôt d’accompagner les citoyens pour mieux comprendre les implications de leurs modes de vie sur le climat et identifier les moyens d’y répondre.
L’exigence de justice sociale et la transparence sont au cœur des attentes des répondants. les efforts doivent être partagés entre tous les acteurs, et l’Etat doit jouer un rôle prépondérant, à la fois en tant que protecteur des plus vulnérables et comme organisateur des transformations. Compte tenu des tensions autour de la liberté individuelle, de la justice sociale, de la redistribution et des principes de régulation des pratiques de consommation comme de production, les répondants formulent des attentes de renouvellement des formes démocratiques : des formes de démocratie directe, de délibération collective transparente et tenant compte des situations particulières, comme moyens de co-définir et d’instaurer des mesures de limitation et de restrictions qui soient acceptables pour les individus.
Le feuilleton Adaptation au changement climatique complète le chapitre « Adaptation au changement climatique » du rapport de prospective Transition(s) 2050 et analyse les leviers et les freins à l’adaptation de quatre secteurs particulièrement sensibles au changement climatique : les transports, l’agriculture, l’industrie et le bâtiment. Cette étude met en avant l’eau comme un enjeu fondamental de l’économie du XXIème siècle, dans la mesure où elle est essentielle pour beaucoup de secteurs (en particulier les transports, l’agriculture, l’industrie et le bâtiment) et est aussi potentiellement très impactée par le changement climatique. En 2050, la quantité et la qualité de l’eau seront potentiellement des contraintes de premier ordre pour les secteurs concernés.
De façon plus générale, la sobriété est un levier qui diminue l’exposition aux risques de pénurie et de manque. L’adaptation est plus aisée, mais non sans impact dans les scénarios S1 et S2 : au prix d’un grand effort collectif construit sur la durée, ils seront moins impactants pour les ressources et moins impactés par les tendances climatiques, ce sont donc des scénarios davantage résilients. A l’inverse, le S4 pourrait induire un accroissement des inégalités en raison des fortes consommations d’eau et de l’urbanisation très importante. Les différents échelons des politiques publiques doivent s’articuler pour anticiper et planifier l’adaptation de l’économie au changement climatique. Cela demandera une organisation des compétences et une disponibilité de l’ingénierie publique territoriale en particulier car la mise en œuvre leur reviendra en grande partie.
Le feuilleton Sols étudie les impacts sur l’artificialisation et la qualité des sols des scénarios Transition(s) 2050 liés à l’agriculture, aux forêts, aux énergies renouvelables, aux bâtiments et aux transports. En compilant les analyses réalisées pour ces différents secteurs, il apparaît que le scénario S4 induit en 2050 près de 600 kha de surfaces artificialisées en plus par rapport au scénario S1, soit l’équivalent du Département de la Charente. Par ailleurs, dans les quatre scénarios, les secteurs du bâtiment et des transports sont majoritairement responsables de l’artificialisation des sols pour respectivement 50% et 40% des impacts. Quant aux énergies renouvelables, elles représentent 10 % des surfaces additionnelles artificialisées.
A cours des quarante dernières années, les sols artificialisés ont augmenté de 72 % sur le territoire métropolitain, et les sols agricoles ont reculé de 7,7 %. Alors que la Loi Climat et Résilience met en avant l’objectif de Zéro artificialisation nette à terme, seuls les scénarios S1 et S2 permettent d’atteindre une réduction d’artificialisation sur la période 2022-2031 de plus de 50 % par rapport au rythme de la décennie précédente.
4 études de filières : L’objectif des 4 études suivantes est d’évaluer l’impact des scénarios sur la chaîne de valeur de filières économiques particulièrement impactée par la transition, afin d’anticiper les changements de modèles d’affaires et d’identifier de premières pistes d’accompagnement nécessaires. |
Le feuilleton filières « Protéines » examine 11 sous-filières protéines regroupant protéines animales, végétales, et alimentation pour le cheptel, afin d’identifier les relais de croissance, reconversions et adaptations techniques et organisationnelles de ce secteur dans les scenarios S1 et S3. Cette projection est primordiale car les filières protéines françaises regroupent une très grande diversité de situations et des réalités complexes, qu’il est indispensable de comprendre et différentier pour identifier les enjeux et les obstacles à leur transition dans différents mondes de neutralité carbone.
Quel que soit le scénario, la transition protéique induit des reconfigurations de l’appareil de production, de transformation et de commercialisation qui seront plus ou moins profondes selon les choix politiques et technologiques. Ces transitions agricoles, alimentaires et agro-industrielles ne pourront se faire sans le support de politiques publiques structurantes avec une lisibilité claire à moyen terme, pour accompagner les mutations industrielles et professionnelles dans les secteurs menacés et les secteurs en forte croissance.
Le feuilleton filières « Gaz et carburants liquides » évalue les transformations de la filière la filière des gaz et carburants liquides pour les scénarios S1 et S3 en particulier, ainsi que les investissements et les impacts sur l’emploi. Dans les 2 scénarios étudiés, la demande diminue de façon importante et ces énergies doivent devenir plus vertes, ce qui induit des investissements massifs dans le verdissement du réseau gazier et la production de biocarburants.
Il faut donc anticiper des mutations intra-sectorielles et inter-sectorielles fortes des emplois au sein de ces filières en lien avec des évolutions inexorables comme la baisse de l’usage du gaz et la quasi disparition des carburants fossiles, et prévoir des réponses à la fermeture de raffineries par exemple ou à leur reconversion en bioraffineries. Une des opportunités pour accélérer la transition des filières gaz et carburants liquides en France à un horizon 2030 est de développer massivement à la fois la méthanisation (technologie mature) et le power-to-gas (technologique en développement)
Le feuilleton filières « Construction neuve » évalue les impacts sur les différents maillons de la chaîne de valeur de la construction neuve pour les scénarios S2 et S3, analyse les principaux enjeux pour les acteurs et propose des solutions pour accompagner les mutations. Etant donné que les bâtiments neufs consomment de moins en moins d’énergie en phase d’usage grâce aux réglementations thermiques successives, les consommations d’énergie et émissions de CO2 associées à la fabrication des matériaux et des équipements vont représenter une part croissante. C’est pourquoi limiter la construction neuve est l’un des leviers à explorer dans le cadre d’une transition bas carbone. Cela permet également de contribuer à la lutte contre l’artificialisation des sols.
Ainsi, quel que soit le scénario, la filière doit anticiper des évolutions majeures : baisse du volume de construction neuve au profit de la rénovation, déconstruction sélective, interdisciplinarité des approches, décarbonation des matériaux, développement de l’économie circulaire, de la garantie de performance et de la flexibilité du bâti. Il est donc important d’agir dès maintenant pour aider la filière à maîtriser le plus possible ces transformations grâce notamment à des formations, des reconversions des professionnels notamment de la construction neuve (gros œuvre, constructeurs de maisons individuelles…) et des plans R&D. L’enjeu est également de soutenir la structuration de nouvelles filières industrielles notamment de fabrication de matériaux biosourcés et géosourcés (y compris en amont dans les filières agricoles et sylvicoles) ainsi que de réemploi et recyclage des matériaux sur l’ensemble du territoire.
Le feuilleton filières « Logistique des derniers kilomètres » évalue les impacts sur les différents maillons de la filière de la logistique des derniers kilomètres, détaille les principaux enjeux pour les acteurs et propose des solutions pour accompagner les mutations. Selon les scénarios, la place des grands opérateurs de transports actuels, des collectivités ou des acteurs du numérique peut être très différente. Mais dans tous les cas, le partage de la donnée entre les différents acteurs est un sujet central pour réduire l’impact de la chaîne logistique.
Par ailleurs, la logistique des derniers kilomètres doit trouver un équilibre entre attente du destinataire (qui veut être livré au plus vite), optimisation des circuits de distribution en temps et en carburants, enjeux environnementaux et conditions de travail. Le fractionnement de la chaîne de valeur, couplé à de réelles difficultés à livrer, par exemple dans des territoires ruraux peu denses, ou a contrario dans des zones urbaines et péri-urbaines denses confrontées à des conditions de circulation et d’arrêt qui se durcissent (du fait notamment des embouteillages, d’amélioration de la qualité de l’air,…), engendrent la mise à disposition de moyens humains et matériels conséquents (multiplication des « petits » véhicules notamment des véhicules utilitaires légers ou encore des 2-roues motorisés) et des cadences de travail élevées. Par ailleurs, le rôle des collectivités est à affirmer car elles disposent de leviers pour agir sur l’organisation des mobilités moins impactantes sur leur territoire.
Retrouvez le dossier de presse en pièce-jointe
Retrouvez l’intégralité des travaux prospectifs de l’ADEME sur le site dédié : https://transitions2050.ademe.fr/