Communiqué de Presse

ACHATS D’OCCASION : SURCONSOMMATION OU SOBRIÉTÉ ?

Au-delà d’une consommation raisonnée et adaptée à ses besoins, faire preuve de sobriété passe notamment par la consommation de produits de seconde main : acheter des produits d’occasion permet de réduire notre impact sur l’environnement en limitant la production d’objets neufs. En revanche, cette pratique d’achat est paradoxalement associée et dans presque 50% des cas à une surconsommation liée à l’accumulation ou au renouvellement rapide des biens d’occasion achetés moins chers et dorénavant plus facilement revendables. C’est ce que montre une étude inédite de l’ADEME sur les pratiques des consommateurs « Objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ? », réalisée avec l’université Paris Dauphine-PSL et le Crédoc.

 

Une forte expansion du marché de l’occasion depuis une vingtaine d’années

Historiquement porté par les acteurs de l’économie sociale et solidaire (Ressourceries, centres Emmaüs…), le marché de l’objet d’occasion connaît une forte expansion depuis une vingtaine d’années, en raison notamment de l’essor des achats en ligne et au développement des plateformes d’achat et vente d’occasion (e-bay, le boncoin, vinted, etc.). La proportion des Français qui achètent d’occasion est passée de 25% en 2009 à 48% en 2018[1].

Le contexte récent de crise sanitaire a également contribué à cet essor. Les confinements successifs se sont traduits par une diminution des achats d’occasion dans les lieux physiques en 2020 au profit de l’achat d’occasion en ligne, notamment dans le domaine de la mode[2]. Par ailleurs, des enseignes en ont profité pour valoriser leurs offres de seconde main et des acteurs traditionnels se sont renouvelés pour créer leur propre offre de revente en ligne et concurrencer ainsi les plateformes existantes.

Face à cette expansion du marché de l’occasion, l’ADEME interroge les représentations et les pratiques des consommateurs, pour comprendre si elles viennent en substitution du marché du neuf (ce qui permettrait d’y voir des signaux de sobriété), ou si elles s’ajoutent à l’achat d’objets neufs, alimentant ainsi une augmentation de la consommation totale.

                                                     Méthodologie

L’étude est basée sur une synthèse de littérature académique, 10 entretiens qualitatifs et une enquête quantitative réalisée en ligne par l’institut de sondage Callson, du 1er février au 11 février 2022 auprès de 1500 répondants âgés de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine selon la méthode des quotas.

Attirés par d’autres modèles de consommation, les Français se tournent de plus en plus vers l’occasion

Interrogés sur le modèle économique actuel dans le cadre de cette étude, seule une minorité de Français (17%) estime qu’il faut continuer à faire reposer le système sur la croissance économique sans diminuer la production et la consommation. À l’inverse, 8 Français sur 10 (83%) souhaitent un changement : une majorité (54%) plaide en faveur d’une révision partielle du modèle en privilégiant le réemploi, la réparation, le recyclage et les services partagés tandis que 29% jugent qu’il faut complètement revoir le modèle et arrêter de toujours produire et consommer plus.

Dans ce contexte, l’achat d’occasion est plutôt bien perçu par les Français. Si l’achat du neuf est pour l’instant perçu comme une « norme d’achat » pour 75% des Français, plus de la moitié des Français (54%) considèrent aussi que l’achat d’occasion s’inscrit dans la « norme ».

Ainsi, l’achat d’occasion est une pratique fortement valorisée : 81% de la population estiment qu’il s’agit d’une source de fierté et 91% qu’il s’agit d’une pratique bénéfique à l’environnement. Par ailleurs, 84% des Français trouvent qu’il est digne de consommer de l’occasion, contre 60% pour l’achat neuf.

 

Le paradoxe de l’occasion : mieux consommer sans pour autant moins consommer ?

Au-delà des raisons économiques ou de pouvoir d’achat, certains consommateurs achètent d’occasion dans le but de mieux consommer.

  • Cela se traduit par une motivation écologique
  • Ils y voient également une façon de moins gaspiller…
  • … tout en étant à la recherche de produits de qualité. Les consommateurs préfèrent des objets d’occasion de marque (autrement dit selon eux de qualité) plutôt que des objets neufs qui sont produits dans des conditions et avec des matières peu qualitatives.

Mais aux côtés de ces motivations d’ordre environnemental et social, des motivations économiques, voire consuméristes sont également très largement partagées. 88% des consommateurs de biens d’occasion se retrouvent sur le caractère astucieux des achats, 86% jugent que cela permet d’acheter plus d’objets pour moins cher et 84% y voient l’occasion d’économiser pour s’offrir plus de loisirs. Si les économies réalisées peuvent être une stratégie pour acheter plus en quantité, la possibilité de revendre d’occasion peut aussi alimenter l’achat de neuf avec l’idée qu’on pourra toujours le revendre.

Les achats plaisir ou impulsifs concernent presque autant le marché de l’occasion que celui du neuf. Sur le marché du neuf comme sur celui de l’occasion, une majorité de consommateurs (plus de 60%), « flânent » sans projet d’achat précis, sur les plateformes en ligne comme dans les magasins physiques. L’idée d’achat plaisir, si elle est un peu moins associée à l’occasion qu’au neuf, concerne néanmoins une majorité de consommateurs.

 

Des typologies d’acheteurs en fonction de leur fréquence d’achat de neuf et d’occasion

L’étude « Objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ? » a également permis de dégager une typologie des consommateurs en fonction de leur fréquence d’achat de neuf et d’occasion.

1. J’achète fréquemment de l’occasion, j’évite d’acheter du neuf si c’est possible (7,6%).

Ce groupe ou « profil-type » dans lequel les femmes sont sur représentées, est constitué de consommateurs qui achètent fréquemment des objets d’occasion et rarement des objets neufs.  Il se caractérise par un score très faible de matérialisme et un intérêt très important pour l’environnement ainsi que de nombreuses compétences pour faire soi-même (jardinage, bricolage, réparation).  Pour ce groupe, le neuf comme l’occasion offre la possibilité de revendre des objets, mais il vend plus fréquemment des objets d’occasion qu’il n’en achète.  De plus, c’est le groupe qui donne mais aussi qui emprunte le plus fréquemment des objets. Par rapport au neuf, l’occasion est pour eux la norme mais aussi une habitude. L’occasion comme le neuf leur permet d’avoir un produit plus solide qui dure longtemps et qui s’achète rapidement.  Ce sont les « alternatifs » à moindre pouvoir d’achat et fort capital « Faire ».

2. J’achète rarement des objets que ça soit du neuf ou de l’occasion (12,3%).

Ce groupe est principalement constitué de consommateurs retraités qui achètent rarement des objets d’occasion et rarement des objets neufs. Pour eux, l’occasion comme le neuf contribuent à la croissance économique, à l’économie locale. Ils se déclarent peu sensibles à l’environnement. L’occasion est « l’achat plaisir » pour faire du shopping et le neuf représente une assurance d’avoir un produit plus solide et qui dure longtemps. Pour ces consommateurs, l’achat d’objets neufs reste une norme (79%) ainsi qu’une habitude (80%).

Ce sont les « silver sobres » (sobre par l’âge et le mode de vie qui va avec).

3. J’achète beaucoup, presque exclusivement des objets neufs (34,8%).

Ce groupe   de consommateurs est essentiellement constitué de cinquantenaires qui achètent rarement des objets d’occasion et fréquemment des objets neufs. Il est le plus matérialiste des quatre groupes et, comme le groupe 2, peu sensible à l’environnement. L’achat d’objets neufs lui procure davantage de plaisir que les objets d’occasion (83% contre 48%). Le neuf représente la « norme » loin devant l’occasion (83% pour le neuf vs 40% pour l’occasion). Il est une assurance d’avoir un produit plus solide, qui dure longtemps, qu’on peut acheter rapidement et revendre ensuite, facilement.

Ce sont les « consommateurs de neuf », avec un bon pouvoir d’achat.

4. J’achète beaucoup, du neuf, de l’occasion, ça dépend des besoins (45,3%).

Ce groupe est constitué de personnes qui achètent fréquemment des objets d’occasion et fréquemment des objets neufs. Les personnes de ce groupe sont plus jeunes que les groupes précédents (âge moyen : 43 ans), actives et la proportion de cadres est la plus forte (13%). Elles sont également les plus matérialistes, « assez » sensibles à l’environnement et qui considèrent que l’occasion comme le neuf contribuent à la croissance économique et à l’économie locale.  C’est le groupe qui a le flux d’objets le plus important en termes de fréquence que ce soit acheter, vendre, recevoir, donner, prêter, emprunter. Ils le font pour pouvoir s’offrir plus de loisirs (90%), pour épargner (87%) ou encore pour acheter plus de choses pour moins cher (90%).  Il s’agit de consommateurs jeunes à fort capital culturel et économique avec une tendance prononcée à consommer des objets, autant neufs que d’occasion. Ce sont les grands consommateurs d’objets neufs et d’occasion à fort pouvoir d’achat.

Cette variété de profils d’acheteurs montre l’importance de nuancer les messages d’encouragement à l’achat d’occasion. En effet, on peut rappeler le gain environnemental d’un achat d’occasion se substituant à un achat neuf en raison notamment des économies d’énergie et de matières premières nécessaires à la fabrication de l’objet et ainsi encourager les Français qui privilégient l’occasion dans le cadre d’une consommation sobre. Pour certains, il s’agira d’influencer leur norme d’achat du neuf en valorisant l’occasion pour les amener à augmenter la part d’occasion dans leurs achats. D’autres, qui achètent peu et possèdent déjà beaucoup pourraient être encouragés à faire circuler leurs objets pour qu’ils puissent avoir une seconde vie. Enfin, les personnes qui achètent beaucoup et revendent beaucoup pourraient être invitées à se questionner sur leurs besoins et à ralentir les flux par exemple à l’aide de la méthode BISOU[3]*.

En résumé, il y a un enjeu à faire progresser la part d’achats d’occasion dans les habitudes… tout en évitant la surconsommation.

Pour aller plus loin :


[1] (Crédoc, 2019).

[2] (Xerfi, 2021).

[3] Méthode bisous : voir P13 : https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/5271-comment-faire-de-la-place-chez-soi–9791029719028.html

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