Le GIEC est sans appel : les impacts du changement climatique menacent la prospérité et le bien-être de l’humanité et accroissent les inégalités entre et au sein des pays. En France, les plus pauvres, les plus âgés, les agriculteurs ou encore les habitants du littoral vont proportionnellement plus pâtir des impacts d’un climat qui change que le reste de la population[1]. La transition est un objectif d’intérêt général majeur, qui conditionne à terme tous les autres. C’est pourquoi la notion de transition juste, telle qu’inscrite au préambule de l’Accord de Paris, signifie en premier lieu qu’il faut faire la transition mais avec le souci de ceux, ménages et entreprises, qui vont aussi y perdre. Une transition juste est donc une transition qui accompagne la cessation ou la mutation des activités brunes, très émettrices ou polluantes héritées du passé, et qui développe les activités vertes, tout en tenant compte des vulnérabilités propres aux différentes composantes des sociétés et économies, le tout de la façon la plus démocratique possible. Pour clarifier la notion et en expliquer les enjeux actuels afin d’éclairer le débat public sur ces questions, l’ADEME présente un AVIS dédié.
Répondre à l’urgence climatique en accompagnant les perdants des activités « brunes » et en multipliant les gagnants des activités « vertes »
Les études macroéconomiques réalisées par l’ADEME concluent que le bilan global de la transition sur l’emploi serait légèrement positif en 2050[2]. Toutefois, ce bilan national comprend des différences importantes entre secteurs et territoires. Dans le même temps, la transition peut être ralentie par des compétences manquantes. L’ADEME observe d’ores et déjà en 2022 un déficit d’environ 18 000 emplois équivalent temps plein dans les trois secteurs clés de la transition énergétique[3].
Aussi, les politiques publiques de transition juste impliquent de suivre, d’anticiper et d’accompagner les effets de la transition sur l’emploi et sur les compétences, en s’appuyant sur une planification et une protection sociale à l’échelle du pays.
Dans le même temps, les outils de production, les capitaux matériels et financiers bruns des entreprises et des ménages peuvent, eux-aussi, être dévalorisés par la transition. Les pouvoirs publics, en France et en Europe, ont ainsi mis en place des dispositifs d’aides publiques à la décarbonation ou à l’acquisition d’actifs verts pour les entreprises, les ménages et les territoires très dépendants des fossiles.
Les besoins d’investissements pour nous placer sur une trajectoire compatible avec la neutralité carbone sont estimés à 66 milliards d’euros annuels d’ici 2030, dont environ la moitié d’investissements publics[4]. Ces besoins peuvent être partiellement couverts par l’effet de relance induit par la transition elle-même. S’il est nécessaire de dégager de nouveaux moyens financiers pour verdir des capitaux bruns matériels et financiers, se posera la question du meilleur levier financier et de la répartition de l’effort au sein de toute l’économie et de toute la société. Les 15 ans à venir sont donc une période transitoire difficile dans laquelle les investissements bruns sont souvent plus rentables que les investissements verts, ce qui justifie d’autant plus d’accompagner l’évolution des activités dans le sens de la transition juste.
Soutenir les plus vulnérables et décider le plus collectivement possible
Pour trois des quatre scénarios de neutralité carbone étudiés par l’ADEME, la transition aurait des effets bénéfiques sur le revenu disponible moyen des ménages en 2050. Cette hausse est due en grande partie à la baisse de la facture énergétique et à la diminution du taux de chômage. Toutefois, à court terme, les mesures de transition peuvent accroitre les inégalités et les difficultés d’une partie de la population. Pour éviter de générer des situations intolérables et des oppositions, il faut, a minima, s’assurer que les actions de transition mises en œuvre ne conduisent pas à aggraver les situations des plus précaires, les discriminations, les inégalités ou le déclassement de certaines catégories de la population. La répartition des efforts doit donc être progressive sur l’ensemble du spectre social, les capacités contributives de chacun étant mobilisées de façon croissante en fonction des revenus et des patrimoines.
Le sentiment de justice de la transition dépend enfin de la capacité à faire valoir son point de vue et ses intérêts dans la prise de décision. Le débat démocratique représente la deuxième condition d’acceptation des changements majeurs de mode de vie par les Français (46%) après leur caractère équitable[5]. Dans le même temps, 64% des Français estiment que le système démocratique fonctionne plutôt mal dans notre pays[6].Dans ce contexte, la transition représente une opportunité pour renouer le dialogue citoyen en France[7].
Garantir et bénéficier de la transition juste malgré les turbulences et les difficultés
La transition, en plus de limiter le réchauffement futur et de lutter contre les difficultés économiques et l’accroissement des inégalités qui en résulteraient, peut contribuer à la compétitivité, la souveraineté, la prospérité et la vitalité démocratique de la France. Pour autant, exiger de la transition de n’avoir que des co-bénéfices pour tous et tout le temps reviendrait à la condamner. Il convient de mener des actions avant tout efficaces d’un point de vue écologique tout en mettant en place d’autres actions qui permettent de pallier ses effets négatifs ou de les répartir de façon considérée comme équitable. Cela doit être pris en compte dans un ensemble de politiques publiques, sociales, économiques, commerciales et mobiliser d’autres acteurs que ceux de l’environnement du climat.
Enfin, la transition ne doit pas être diabolisée ou enchantée au regard de ses effets, sur l’emploi, les revenus, la cohésion sociale, la confiance dans les institutions politiques. Les effets de la transition sont bien réels quoique variables selon les chemins de transition ou les territoires. Cependant, ils restent relativement peu importants en regard d’autres réalités : les crises énergétiques, financières, sanitaires, géostratégiques, institutionnelles, la tertiarisation des économies, leur globalisation et leur financiarisation, la répartition des revenus et des patrimoines, le développement de l’intelligence artificielle, des fake news, le vieillissement de la population, les tensions économiques, sociales, identitaires et religieuses etc. Il serait irresponsable de faire de la transition le bouc-émissaire des difficultés d’aujourd’hui ou de demain dont elle n’est en rien la cause principale.
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[1] Haut conseil pour le climat. (2021&2023). Rapport annuel sur la neutralité carbone. https://www.hautconseilclimat.fr/publications/
[2] Callonnec, G., Gouëdard, H., Jolivet, P. (2022). Les effets macroéconomiques. Transition 2050. ADEME. https://librairie.ademe.fr/cadic/6940/feuilleton_macroeconomie_transitions2050_ademe.pdf .
[3] ADEME, IN NUMERI. 2023. Marchés et emplois concourant à la transition énergétique dans les secteurs des énergies renouvelables et de récupération, des transports terrestres et du bâtiment résidentiel, Situation 2019-2021, Estimation préliminaire vs. Objectifs PPESNBC 2022. https://librairie.ademe.fr/.
[4] Pisani-Ferry, Mahfouz, S., J., Les incidences économiques de l’action pour le climat. France Stratégie
https://www.strategie.gouv.fr/publications/incidences-economiques-de-laction-climat
[5] OpinionWay pour l’ADEME. (2023). Représentations sociales du changement climatique. https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/6706-les-representations-sociales-du-changement-climatique-24eme-vague-du-barometre.html
[6] Cevipof. (2023). Baromètre de la confiance politique vague 14 Derrière la crise sociale, la défiance encore et toujours. https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).pdf
[7] Waserman., S. (2024). L’adaptation au changement climatique : une opportunité unique de renouer le dialogue citoyen. Libération, 17 mars.